— La poé-si quoi ?
— La « Poésie », les « Poèmes ».
— Ah. La « poési… truc », là. Oui. Je vois. Alors comme ça, vous aussi, vous en êtes…
— Je ne sais pas, j’aimerais bien. C’est à vous de me dire, en fait… J’ai le droit ?
— Oui oui. Le poé-poé-bidule : La mer, les hauteurs. L’eau salée sur les lèvres, tout ça. Oui. Je vois, je vois.
— Vous voyez quoi ?
— Que vous aussi, vous êtes comme ça : comme eux. Je vois. Virus de la beauté. Malade du haut, quoi…
— Je ne sais pas. Ça fait longtemps en tout cas que j’essaie de soigner ce truc-là. Ils demandent un certificat médical, pour vérifier, qu’on a le droit de pratiquer, c’est pour ça que je suis là !
— Remarquez, la semaine dernière, j’en ai reçu un·e, il faisait de l’haïkuïsme. Carrément.
— Ah oui, et c’est grave, ça ?
— Un art martial. Redoutable. Très dangereux. Ça vous met KO en moins de deux. ‘Vaut mieux pas être en face.
— Ah oui. Ça ne doit pas être beau à voir. Et ça va mieux ? Iel a plus mal ?
— 2 cachets et au lit, que je lui ai dit. Remarquez, on n’en guérit jamais vraiment, de cette saloperie…
— Et pour mon certificat… Alors, je peux pratiquer la Poésie, j’ai le droit ?
— Oui oui. La poésy-machin-truc, là. J’connais. Une belle saloperie, ça aussi. C’est encore plus dangereux que le self-defense, y paraît. Comment qu’on appelle ça déjà, « activité à sensation » … « sport extrême ». Ça se pratique en hauteur, dans les airs. C’est plein d’imaginaire partout, surtout faut faire vachement gaffe aux alexandrins, c’est des gros vicieux, ces machins ! Et puis j’vous préviens : sans rien demander vous vous prenez une fulgurance ou une profondeur dans la tronche. Ça vole partout chez eux. Des tarés. J’connais. J’en ai vu un, une fois, c’était plus vraiment quelqu’un. Six mois que ça lui a mis, pour redescendre. Shooté·e au beau. Iel sentait même plus quand on le·la piquait, tellement son cœur était devenu gros.
— Ah oui ! C’est si dangereux que ça ?
— Heureusement que j’suis aussi chirurgien esthétique ; j’lui ai prescrit 2h de télé + 1h d’Insta entre chaque repas, comme ça ses ailes ont fini par tomber. Et puis une cure choc : 1 journée entière à l’Assemblée nationale, direct. Pour le calmer. Au bout de 2 semaines, iel ressemblait déjà un peu plus à de l’humanité. Iel commençait même à regueuler sur ses voisins, le soir, à l’apéro.
— Et ça ne l’a pas trop piqué, les con-primés ?
— C’est normal, ça picote toujours un peu, au début. C’est l’idéal qui part…
— Grrr ! Pfhhh ! Hmmm !
— Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce que vous avez ? Qu’est-ce qui se passe ? Rasseyez-vous mon vieux ! Calmez-vous, ça ne va pas ?
— Là ! Là ! Un nuage !
— Et bah ?
— Regardez comme il habille le ciel ! On dirait une écharpe Ocr’, mauve, arc-en-ciel !
— Oui oui je vois. Asseyez-vous. Légère allergie au réel. Petit manque de vérité. Ça va passer : Vous avez le système immunitaire d’un exilé, mon vieux… [Après un temps.] – Dîtes, vous ne mettez jamais de chaussures ?
— Non, je préfère. Ça ne vous gêne pas ? Comme ça je sens mieux, les pas, les chemins. Quand ça tourne, quand ça s’enfonce ou que ça s’efface. J’ai les orteils très sensibles vous savez, et ils sentent même l’impalpable.
— Je ne savais pas que les poètes sentaient aussi des pieds.
— Oh mais des pieds, des orteils, de partout ! – Vous voulez que je vous montre ce que ça fait ?
– Non c’est bon ! Je vois, je vois. Tenez, voilà votre certificat. Apte à poétiser ; si ça vous amuse tant que ça de vous faire allumer les pieds toute la journée. Mais n’oubliez pas : casque sur le cœur, et lunettes de soleil quand vous lisez. C’est un coup à se cramer les yeux. Ah, et surtout, surtout, parachute ! : La Poésie j’connais, c’est très haut, et si affamé, comme pays.