
Je me suis assis avec ma cape noire, prêt à me prélasser, penché en arrière, quand un col en plastique est venu enserrer ma nuque. Douleur passagère, mais tenant en elle la promesse d’un moment de grâce à venir. Ce fut d’abord de l’eau froide, puis tiède, puis brûlante, qui me cercla la tête. Je fermai les yeux prêt à m’abandonner, quand de fins doigts sont venus doucement frictionner ma tignasse lourde, égrenant avec force mes peines, des racines aux extrémités, égouttant l’orage, ramenant l’été sur ce crâne d’habitude habillé de grêle.
Je voulais déjà ressembler à cette image du magazine, rêvais qu’on me transforme, qu’un peintre muni de ses ciseaux réencadre mon visage dans un nouvel étai qui le révèle. Je sentais souffler sur moi l’haleine du renouveau, quand un rasoir au tranchant expert rafraichit enfin l’errance passée de mes vieux cheveux. Et je devinai qui tombaient sur le sol leurs embouts devenus cendres, tandis que la jeunesse ramenait en leurs lèvres peu à peu sa sève. Plus la brosse passait sur elle, plus ma crinière devenait brosse elle-même.
C’est alors que j’eus soudain cette évidence devant les yeux : aller chez le coiffeur, c’est comme lire un poème.
Il me faut en lire régulièrement. Au moins une fois par mois. Pour m’épurer les veines. Raviver mes sens. Désépaissir la corne qui s’est accumulée à force de regarder, irriguer l’aridité qui pousse chaque jour un peu plus sur notre sensibilité.
Et une fois le cerveau rajeuni, les émotions ravivées et les poumons de nouveaux prêts à sentir, tandis que je referme chaque début de mois, enfin ému, le poème d’une main tremblante, par réflexe mon autre main se lève et replace discrètement la mèche sur mon inéluctable calvitie, que le coiffeur et moi avions fait mine quelques instants d’ignorer.