Défaite

Elle est sinueuse
un peu trouble
et très incertaine
en fait
Cette route qui s’ouvre
Juste devant chez moi
Je la prends un peu
le matin
puis la quitte
prends un autre chemin
Coupe à travers champs
Ou parfois je reviens juste chez moi
J’ai tellement peur
circulant autour des centrales
à côté des écoles
pas très loin de chez toi
Que quelqu’un l’ait coupée arrêtée détruite
Je ne veux pas voir finalement où elle mène
Je la préfère encore possible plutôt que défaite

Mais je sais pourtant
qu’un jour j’irai
Je combattrai les bombes
traverserai la pollution épaisse
et les lois rétrogrades
Il faudra faire des ponts alors je les ferai
Il faudra retirer la boue alors je la retirerai
Parce qu’il y a une route devant chez moi
Et je sais qu’elle mène jusqu’à toi

Couleurs

Entre terre d’envie et ciel de pluie
je préfère ce maigre endroit
qu’on ne voit presque pas
Ce filament que notre amour silencieux a bâti
Et que seul.e moi connais
Et que seul.e toi habites
Une connexion invisible et stratosphérique
où nos couleurs, que nous avons protégées de la journée en secret,
s’unissent

Jean Favre

C’est une synapse

C’est une synapse que je fais rarement vibrer
Elle est, des autres, assez éloignée
Elle a préféré laisser la place à leur symphonie
Se mettre à l’écart de leurs moqueries
Des qu’en dira-t-on et de tous ces vilains mots
Qui circulent parfois dans le reste de mon cerveau

Elle reste depuis blottie dans son coin
A l’abri des étincelles et de ces connexions
Que les synapses d’habitude aiment faire
Elle soigne sa différence
Loin de leur exubérance
On est toujours un peu discrète
Quand, à ses douleurs, on n’a pas d’interprète

C’est une synapse dont je joue rarement.
Comme elle, je préfère celles qui vivent l’instant,
Celles qui crient, celles qui rient
Elle est de celles qui aiment mieux rester transparent
Et laisse volontiers sa place au vacarme et au bruit
Plutôt que d’entendre qui pleurent ses propres tourments

C’est une synapse que j’ai préféré ignorer
Tant elle est sauvage, craintive et frêle
Nous avons tous en nous une synapse rebelle
La mienne s’est isolée des guillemets
Pour mieux entendre tes pas s’ils venaient
Car il n’y a que toi et tes caresses qui savez,
Dans ce fourbi qu’est ma poitrine, où la trouver.

C’est une synapse que je n’ose plus chatouiller
Elle ne veut plus voir le moindre sentiment
Elle sait maintenant qu’il est des étincelles qui tuent
Si, comme elle, on les ignore trop longtemps
Elle ne regrette même plus de s’être tue
Quand mes nerfs l’informaient que tu passais devant elle
Ses émotions sont désormais un combat de boxe
Depuis qu’elle te connaît, elle se tait en désintox.

Quand parfois dans la nuit les autres se taisent
Elle rêve qu’il existe une photosynthèse
Qui saurait t’amener près d’elle,
Qui te ferait entendre ses plus jolis murmures,
Toutes ces fleurs fragiles en elle
Que par timidité, elle n’a jamais osé cueillir

C’est une synapse que je fais rarement sonner
Elle a la voix des anges, la corde fine d’une épine
En la jouant, on aurait peur de la casser
C’est qu’elle est un peu comme moi,
Elle se terre dans ma poitrine
Et n’ose sortir que quand elle te voit
Tes yeux sont les seuls à avoir deviné qu’elle est là
Seules tes caresses savent en jouer
Il n’y a qu’elles pour la faire vibrer sans la casser

Essence

Moi aussi je marche à l’essence
Et non au paraître.
Être est toujours la condition
Que je donne à mes émotions
Quand elles naissent.
L’essence de l’être est selon moi essentiel
Pour que nous puissions marcher ensemble
Mais je crois surtout que bientôt nous en manquerons
C’est que nous brûlons tant
Ce qui fait ce que nous sommes